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La famille et la Croix

Etats généraux de la natalité – 20 Octobre 2022 – les Bernardins – FAFCE-AFC

Fabrice Hadjaj

Directeur de l’institut européen d’études anthropologiques – Fribourg

« L’accueil d’une génération future comme condition d’un véritable développement durable »

 

« Avec ma femme nous attendons notre dixième enfant mais je ne suis pas nataliste. Je ne m’occupe pas de natalité je suis un père de famille, je m’occupe de naissance.   La natalité c’est une donnée statistique,   je m’occupe des personnes singulières avec leur histoire et je ne m’occupe pas de natalisme qui est un programme politique, généralement une idéologie.  Je crois à l’histoire singulière d’un homme et une femme. Je n’aime pas que l’Etat vienne « fouiller dans nos culottes ». Un homme et une femme cela peut avoir dix, ou un comme la sainte Famille, ou zéro enfant, comme les filles de la famille Martin qui n’ont pas eu d’enfants. Il faut être prudent avec ces questions.

Je pourrais témoigner qu’à cause de ma famille,  je n’ai pas le temps pour la porno, ni pour les jeux en ligne, ni pour les vols transatlantiques etc.  Je passe mon temps à courir à quatre pattes ou sur la table à langer, dans cet évènement du premier vis-à-vis dans ce face à face, de l’échange de la parole,  où je m’émerveille,  je joue à me cacher, à faire coucou, et  je vis la base de mon travail philosophique avec les enfants.

Je vais vous parler comme philosophe avec un point de vue différent et complémentaire, plus général et j’espère plus radical.

Ecologie et économie : quand on parle de développement durable on est à la jonction de l’économie de croissance et des problématiques environnementales.   C’est généralement une  question de statistiques et de paramètres. La plupart du temps appartenir au parti des verts ce n’est pas faire faire pousser des salades, c’est parler de la planète comme un astronaute,  c’est-à-dire un déraciné, et regarder sur un tableau de bord des paramètres afin de s’assurer que les voyants ne vont pas trop au rouge et vont vers le le vert. C’est un rapport technologique au monde sans rapport concret de travail avec la nature. A cause de cette déformation on arrive à des conclusions comportementales étranges, par ex face à la crise environnementale, il y a deux enjeux: la transformation du mode de vie et la réduction de la natalité.

On adopte une échelle globale et dans  des pays qui souffrent de dénatalité on n’a pas besoin de tirer sur l’ambulance, mais les gens vont vous  dire que dans la transformation des modes de vie il y a une trop grande inertie, et qu’ il faut se limiter à un enfant ou zéro, pour la planète. « Child free », « one child one planet »

Cela aboutit a des choses complètement folles: on prétend sauver les générations futures en stérilisant la génération présente !

On entend préserver la nature et on refuse la nature en nous-mêmes…  Si j’ai fait autant d’enfants, ce n’est pas parce que je suis un animal que j’agis comme eux, mais c’est la nature, par définition  nascor «  ce qui fait naître ».  Au nom de la nature, il faudrait empêcher de naître, en premier lieu en soi. Décalage.

Dire qu’il ne  faut pas de famille nombreuse c’est favoriser l’atomisation de la société.  Or les individus esseulés ne peuvent pas résister à la tentation du marché et entrent dans la surconsommation pour éviter leur ennui. L’empreinte  carbone des célibataires est plus grande que celles des familles. Avoir des enfants c’est passer du temps à s’occuper d’eux et ne pas se disperser. On est astreint à ne pas se disperser.

Enfin, dernier point des aberrations, nous avons l’économie à la bouche et nous oublions que dans l’étymologie de son préfixe, le mot  renvoie à la famille oïkios *c’est à dire à l’entité économique.

Aujourd’hui la vision de la femme au foyer, la matrice, est critiquée. Mais le vrai problème c’est l’homme au bureau. Dans la comptabilité nationale, la famille est comptée comme consommatrice. Les ménages sont perçus  seulement comme une association de deux consommateurs salariés qui ne font rien ensemble à part faire l’amour et éventuellement  faire des enfants, or la famille est aussi productive.

A  l’origine l’économie était uniquement familiale ; si l’économie est devenue uniquement politique, si on ne pense plus aux familles,  c’est à cause de la constitution moderne de la famille après la révolution industrielle. Aujourd’hui on ne fait plus rien : chacun devant son écran, les gens vivent sous le même toit mais sont déjà des familles éclatées.

La vraie question : la famille est-elle encore le  foyer  de l’écologie et de l’économie ? Il  ne s’agit pas seulement de critiquer l’écologie mais de repenser le sens de la famille comme lieu de transmission de la production.

Les économistes ont pensé que peut-être il faudrait réduire le temps de travail de 40% en réduisant le salaire de 20% et le bénéfice social serait que les gens aient le temps de s’occuper de leurs enfants et cela restructurerait la société.

Une erreur commune serait de croire que nous sommes encore dans des thématiques modernes  telles que l’Etat a supprimé les corps intermédiaires dont la famille. Nous n’en sommes plus là,  l’individualisme n’est plus, ce que nous rencontrons aujourd’hui ce sont des « dividus »,  des êtres fragmentés qui sont dispersés et décentrés d’eux mêmes et ne posent plus des actes vraiment libres.

Cette fragmentation est liée aux technologies, par exemple, c’est bien de faire venir beaucoup de gens pour un colloque mais peut-on comprendre la profondeur de la pensée de quelqu’un qui  parle seulement dix minutes ?  Je le dis souvent, surtout avec un compte à rebours, je ne peux pas parler avec une mesure et en plus si au moment où je pars dans une envolée lyrique, cela fait bip…  Cela nous atteint tous.

Cette fragmentation est partout, le natalisme n’est pas catholique, il est moderne, il y a eu un natalisme nationalisme civique, par ex « Le tour de France par deux enfants » du début du XXème siècle était  antichrétien.  On leur explique à ces enfants qu’il faut que les français fassent beaucoup d’enfants pour reprendre l’Alsace et la Lorraine, pour être plus forts que les Allemands. Il y a un natalisme fondamentaliste chez les islamistes : le djihad des femmes, c’est faire des enfants. Je rappelle que Mao était nataliste, c’est Deng Xiaoping qui a institué la politique de l’enfant unique.  Toutes ces choses-là ne sont pas catholiques.

On fait des enfants des bras pour le parti, pour la nation,  on les fonctionnalise, on n’accueille pas les personnes.  Il y a un danger. Quand je critique certains amis de droite qui parlent du grand remplacement  en leur disant qu’il y aura toujours un accroissement migratoire si  vous ne faites pas des enfants,  je suis gêné car ma remarque suppose de faire des enfants pour la France alors que c’est  pour le Royaume.

Nous sommes dans une époque post moderne marquée par l’effondrement du progressisme et donc un effondrement du natalisme  moderne : on faisait beaucoup d’enfants parce qu’on rêvait de prospérité parfaite et on s’est rendu compte que nos rêves  détruisaient les ressources et ils sont accusés de tout.

On acceptait les drames quand il y avait un espoir d’une vie meilleure. Même l’esclavage …

Pourquoi le phénomène woke ? Les minorités accusent les blancs parce que le progressisme s’est effondré, il n’y a plus d’espoir d’un monde meilleur. C’est l’heure de l’amertume et du ressentiment. Croire que les idéologues de gauche ont poussé un peu plus loin l’idéologie libertaire c’est se tromper.

Qu’est ce qui pèse sur la natalité ?

Deux choses.  Pour les jeunes, la possibilité de l’extinction de l’espèce humaine désormais c’est sérieux. Si vous regardez les rapports de certains climatologues, ils considèrent cette possibilité même si on a peur d’en parler. C’est rentré dans la mentalité et deuxièmement, il ya ce que le pape appelle le paradigme technocratique, c’est-à-dire préférer l’innovation, l’amélioration de la vie, à la naissance qui produit le fait de mourir, de laisser la place, et qui provoque des drames.

Un sondage du magazine Elle révèle que, parmi les femmes en âge de procréer, une femme sur trois ne veut pas avoir d’enfants.   Depuis 2010 on est passé de 4%  à 33%.

De plus, une femme sur deux est prête à recourir à la PMA sans homme : si on fait des enfants, on les fabrique.

D’un côté c’est le déclin et de l’autre c’est la technologie, les deux éléments de la postmodernité.

Pour aller plus loin et pour conclure je voudrais arriver à une question sur la durée du durable.  On parle de développement durable depuis le rapport Bruntland en 1987 « Our common future » et le «  sustainable development » est devenu le refrain des institutions internationales jusqu’à ne plus réfléchir à ce qu’est la durée humaine.

Quand j’entends le mot durée je pense à un texte d’Hannah Arendt  « La crise de la culture » qui  nous dit que justement le lieu de la duré,e c’est la culture,  produire des œuvres qui passent d’une génération à l’autre.

Mais cela suppose qu’il y ait des générations  portées à une certaine élévation et pas simplement un élevage.

Dans la Bible il est dit non pas « Croissez et multipliez » ce qu’on a dit pendant longtemps, mais «  Soyez féconds, fructifiez,  et multipliez-vous ».  Il y a une différence entre les deux. Le verbe employé pour multiplier est le même pour les Hébreux que pour les grenouilles qui pullulent dans l’épisode des plaies d’Egypte ! On peut se multiplier sans être féconds, la vraie question c’est la fécondité.

La fécondité,  c’est que quelque chose  passe d’une génération à l’autre qui relève de la sagesse.  Il y a un lien très fort entre le fait d’avoir des enfants, de se préoccuper de transmission  et de ne pas se perdre dans les derniers gadgets, de se poser la question de ce qu’est une grande œuvre.

Le vieux Tolstoï qu’on a chez soi et qu’on va lire les uns après les autres, qu’on se repasse, la transmission de ce qui dure, le vrai durable qui se passe d’une génération à l’autre, c’est dans l’expérience de la famille que cela se vit.  On est dans le domaine non seulement de la préservation de la nature, mais de la culture.

Le savoir-faire est aussi important, la question de la transmission du savoir-faire, la grande question de l’écologie ce n’est pas les statistiques ou écouter Greta, c’est cultiver un jardin ensemble en famille.

Le lien entre famille et logement (oïkos) est une question fondamentale, le logement est un espace où les familles peuvent transmettre encore.

Quand il y a une transmission il y a moins de dispersion.  Chez moi c’est la musique et le karaté, on passe du temps ensemble on apprend ensemble, on est déconnectés.  La patience des choses est fondamentale.  C’est cela le durable, ce qui excède la question des cycles de la nature et la simple survie d’un individu.

Le durable ne peut pas se réduire à une psychologie de la survie,  cette notion dont le pape François a parlé le 2 février 2017, fête de la présentation  du Seigneur. Il parle de l’Eglise, mais on peut généraliser,  la tentation de la survie fait oublier la grâce et ôte la force de nos charismes. Ce climat de survie endurcit le cœur des aînés en les privant de la capacité de rêver, et stérilise la prophétie que les plus jeunes sont appelés à annoncer et à réaliser.

C’est un des problèmes de l’écologisme qui nous fait entrer dans la logique de la survie. Et ce qu’on veut c’est la vie, pas la simple survie.

C’est un problème à deux niveaux: au niveau des vivants eux-mêmes, le but de la vie n’est pas la conservation,  pourquoi les espèces vivantes sont-elles apparues ?  Par pour se conserver, car dans ce cas les cailloux auraient gagné, ils durent plus longtemps…

Pour qu’il y ait une manifestation de vie,  généreuse,  le but de la vie n’est pas la conservation mais le don.  Sinon pourquoi l’oiseau chante-t-il ?  Bien sûr pour se reproduire mais il se conserve pour chanter, la conservation est une finalité secondaire, pas la première.

Même pour l’homme :  ce qu’il cherche ce n’est pas tant conserver sa vie, c’est donner sa vie et  à donner la vie.

Si vous êtes dans un monde où il s’agit de se conserver, vous finissez par vous suicider. Avec les logiques de survie exclusive, si on se focalise exclusivement sur la survie, alors on entre dans la logique du suicide.

C’est là qu’on voit en lien l’un avec les autres cette anxiété écologique qui nous fait aller vers les logiques de survie et  en même temps le fait qu’on va malgré tout  vers le suicide démographique. Le but de la vie n’est pas de survivre mais de vivre.

Il y a une question majeure de repenser  la famille comme lieu de transmission durable de communion entre les personnes  et non de communication de marchandise et de sur consommation: cela suppose un changement de narratif, mais cela suppose qu’on réouvre une espérance dans ce monde.

Les associations des familles catholiques ont un rôle fondamental à jouer pour toutes les familles ;  réinsuffler l’espérance. Tous les espoirs mondains ont eu tendance à s’effondrer  et le dernier,  l’espoir de survie, va finir par s’effondrer de lui-même aussi.

Il faut reproduire un grand récit héroïque qui est celui des  Evangiles, du don de la vie, pour donner la vie et abandonner le discours de la famille comme lieu du bien-être, « happy family, healthy society »…  C’est bien la famille, c’est fonctionnel, tout se passe bien… c’est l’horreur cela…  vous avez lu l’Evangile d’aujourd’hui ? Jésus n’est pas venu pour apporter la paix mais la division : le père se dressera contre le fils etc … la famille est le lieu du drame,  les enfants ne sont pas mieux, mais ils sont au lieu de la vie et du don de la vie.

La famille c’est le lieu du drame, le lieu de la vie et du don de la vie ; plus il y a de la vie plus il y a  de l’espérance mais plus il y a de drame.

Vous cherchez ce qui dure, ce qu’il y a de plus durable et de plus fécond. “Stat crux dum volvitur orbis”, autrement dit ‘La croix demeure tandis que le monde tourne” selon la devise des Chartreux.

C’est pour cela que je vous, je nous appelle à repenser une vision dramatique de la famille comme chez les grecs, comme dans la Bible.

Repenser une vision tragique de la famille ;  lieu de déploiement de l’humanité, lieu de déploiement du pardon, de l’histoire, de toute grandeur humaine.  Je vous remercie.

A partir de 1.52.06 jusqu’à 2.22.03 https://www.youtube.com/watch?v=l4H6-RL_Ffs

*grec ancien οἶκος, « maison », « patrimoine » est l’ensemble de biens et d’hommes rattachés à un même lieu d’habitation et de production, une « maisonnée ». Il s’agit à la fois d’une unité familiale élargie, des parents aux esclaves, et d’une unité de production agricole ou artisanale

Conclusion de Femina Europa

Nous pouvons confirmer que nous sommes souvent scandalisées par certaines déclarations au Parlement européen…

Par exemple: « comment mettre toutes les femmes sur le marché du travail » dans le seul but d’améliorer la comptabilité, d’augmenter les recettes fiscales des Etats comme si la valeur d’une femme résidait dans son salaire, comme si les  femmes au foyer étaient des « femmes entretenues » et le travail domestique et de transmission de la culture sans valeur pour la société.

 

 

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