Entretien exclusif avec Pascale Warda, chaldéenne d’Irak, présidente de l’association pour les droits de l’homme « Hammurabi ».
Pascale Warda est chaldéenne, ancien ministre et vit à Bagdad. Elle est mariée et mère de 2 enfants.
Femina Europa : Pascale Warda, vous avez fondé, et vous êtes présidente, d’une ONG de défense des droits de l’homme, n’est ce pas ?
Pascale : Oui je suis présidente de « Hammurabi Droits de l’Homme », une ONG qu’on a fondée officiellement en 2005, à Bagdad. On avait déjà commencé à travailler avant depuis la fin des années 1990s mais nous étions très occupés par les affaires politiques. Nous étions alors dans l’opposition. A ce moment-là, il n’était pas facile de parler de droits de l’homme et il fallait faire autre chose mais en 2005 une fois terminée ma mission de ministre, avec mon mari qui était avant moi à l’initiative de cette idée d’enregistrer et de déclarer notre travail, nous avons constitué une équipe de gens compétents et disponibles, des gens remarquables, des professeurs , des juristes, des gens actifs dans le domaine des droits de l’homme et je crois que c’est une organisation très dynamique, très vivante, qui a des capacités remarquables .
Femina Europa : Pensez vous que les catholiques, et les ONG catholiques ont un rôle à jouer au niveau des droits de l’homme à l’heure actuelle ?
Pascale : C’est crucial pas seulement un rôle comme tous les autres mais un rôle. On ne peut pas dire : moi, je vis en France ça ne me regarde pas. Le monde est devenu un village et je dis même pour moi un poignet. Mon téléphone c’est comme mon poignet et grâce à lui le monde est à portée de main de chacun . On peut voir ce qui se passe et transmettre cela en une seconde. Plus que jamais la fraternité et la solidarité peuvent s’exprimer dans tous ses sens, dans tous ses moyens. Même si vous ne pouvez pas venir sur place parce que c’est loin, c’est dangereux, parce que comme certains me l’on dit on ne veut pas gaspiller de l’argent en venant sur place alors que vous, vous êtes sur place. Eh bien, oui, nous sommes présents là-bas sur place et nous pouvons agir. Faites-nous confiance et envoyez nous ce que vous pouvez et puis demandez nous des comptes.
Femina Europa : Vous êtes des relais…
Pascale : Exactement ! Nous n’avons pas d’autre but que de laisser les gens retrouver une stabilité, trouver la paix dans un coin du pays. Nous nous efforçons de faire en sorte que les gens ne quittent pas le pays. Quitter le pays, c’est peut-être une situation pour un groupe ou un autre mais pas pour tout le monde. Il y a des tas de gens qui disent moi je ne quitterai jamais le pays, moi je veux repartir chez moi, faire repartir mes affaires. Certains étaient très riches, possédant des terres, des maisons. Comment pourraient-ils tout laisser derrière eux. Vous voyez, l’Irak, c’est un pays riche. Il a tout ce qu’il faut mais ce qui lui manque, ce sont des leaders comme il faut. Notre pays aujourd’hui manque de leaders, surtout des leaders politiques. Ils sont maladroits, imposés, venus d’on ne sait où, des gens incapables de faire de la politique.
Femina Europa : Parlons de l’histoire chrétienne de l’Irak : votre communauté chaldéenne est très ancienne, n’est-ce pas ?
Pascale : Absolument, c’est une des plus anciennes. Je crois que c’est la première communauté qui a eu une vie publique. C’est le pays d’Abraham qui vivait à Ur, en Chaldée, c’est-à-dire dans l’Assyrie d’aujourd’hui. On peut encore voir des traces de la ville d’Ur. Ur veut d’ailleurs dire « ville ». c’était sans doute à l’époque la seule ville digne de ce nom. Les ruines disent à quel point cette civilisation était riche au plan culturel, scientifique, pour l’art de la guerre mais elle a aussi toujours été emblématique de la culture de la foi. Abraham a reçu la foi sur cette terre-là quand il a reçu l’ordre d’aller en terre Sainte. Quel mystère, mon Dieu ! Et depuis ce temps-là on va….et on ne s’arrête pas ! « Va, quitte ton pays et va là où je te montre » et il est parti. On est migrants depuis cette époque c’est mystérieux mais pour nous quitter notre pays complètement, c’est un désastre, pas seulement pour nous comme chrétiens et pour la vocation chrétienne du pays mais aussi pour le pays lui-même. Les musulmans eux-mêmes nous le disent. Si vous partez, c’est le désert ! Ils le crient ! Même au niveau officiel : « Vous êtes les habitants originels et nous nous sommes venus lors d’invasions. Donc on ne conçoit pas l’Irak sans vous ». Il faut prendre en compte ces points positifs et travailler dessus. Il faut prendre en compte la réalité pour envisager un changement quel qu’il soit, changement de mentalités, changement de principes. Il faut qu’il y ait des travailleurs mais des travailleurs qui croient, qui croient que c’est possible. On peut changer et je vous assure que beaucoup changent. Je ne veux pas rentrer dans les détails mais il y a beaucoup de bonnes volontés qui disent : « S’il vous plait, montrez-nous de quoi vous vivez de l’intérieur, pourquoi ? Une professeur d’université, voilée très gentille qui suivait des cours d’anglais avec moi me disait : « Dites-moi quel est votre secret ! Vous vivez sur la même terre que nous, vous buvez la même eau. On est citoyen du même pays mais vous avez quelque chose de particulier ».
Femina Europa: Votre famille a-t-elle été touchée par la guerre? Quels sont vos liens avec la France?
Pascale Warda: Je suis Irakienne d’origine, de l’église chaldéenne et j’ai vécu 15 ans en France. J’ai terminé mes études en France, à l’Institut catholique de Lyon. J’ai une maitrise et un DEA en droits de l’homme. J’ai été contente de faire cette formation parce que j’ai trouvé que vraiment c’était le besoin de notre temps, surtout au Moyen Orient. J’étais toujours en train de penser : je dois repartir car c’est vraiment l’endroit où il faut défendre les hommes et les femmes quels qu’ils soient, sans tenir compte de leur identité. Donc voilà pourquoi cela m’a plu de faire ces études, dans ce sens-là. Sinon, j’étais aussi étudiante en philosophie mais j’ai dû arrêter avant la fin, juste avant les examens car c’est à ce moment que ma famille a été ciblée dans les bombardements chimiques de 1988. Ils sont allés en Turquie. J’ai passé 3 mois à les chercher sur les frontières en interrogeant les organismes internationaux et tout le monde me disait : si vous nous dites que c’est par là qu’ils ont dû sortir, eh bien maintenant ils sont tous morts là-bas et moi, je gardais toujours en moi ce sentiment que Non ils n’étaient pas morts ! J’ai même eu une vision qui me disait N’ayez pas peur ! J’ai vu en plein feu Jésus qui disait « N’ayez pas peur, ils sont là » et c’était comme s’ils flânaient sur le feu et ils disaient « Je suis là » et donc j’étais certaine qu’ils étaient tous là sains et saufs. Au bout de 3 mois, je les ai trouvés dans un camp de réfugiés, à Diyar Baker (situé en Anatolie, dans le Sud-Est de la Turquie). Mon frère a téléphoné à une de mes sœurs qui était à Bagdad et lui a dit : « Ils sont en Turquie ». J’ai pris l’avion en disant « Je vais en Turquie, je ne sais pas où exactement ». A Istanbul, je suis allée chez l’évêque chaldéen qui m’a dit : « il y a un camp à Diyar Baker »et j’ai dit « Bon, ben réservez-moi tout de suite un moyen de transport pour y aller ». J’y suis allée le lendemain matin tôt et je suis allée voir la police : « J’ai de la famille ici mais je ne sais pas où ». La police m’a dit : « Oui il y a bien un camp ici où vous allez les trouver ». Je suis allée au camp mais la police m’a dit « Interdit d’entrer » car il y avait eu des problèmes entre la police et les réfugiés kurdes. En effet, ma famille ainsi que 500 familles chrétiennes étaient avec les Kurdes dans ce camp de réfugiés ainsi que dans le camp de Hammoush, 2 grands centres de réfugiés : il y avait là 100 000 personnes derrière les barbelés et je me disais : « Mon Dieu il y a là mon petit frère et ma mère, cardiaque, … qu’est ce que je vais faire ? » Je vais chez les autorités qui me disent : « Voilà, il faut telle et telle autorisation, papiers, formalités etc…. et pendant 5 jours je vais voir le wali (autorité administrative) n° 1, n°2, n°3 …jusqu’au n°15 , ce qui m’a permis d’avoir l’accord de les voir 10 minutes et j’ai trouvé tout le monde sain et sauf. Bien sûr je n’avais pas à être triste puisqu’ils étaient bien là mais voilà je les ai vus quasiment nus. Il fallait leur apporter tout, il fallait les habiller car ils étaient venus là en août et nous étions au mois de novembre et ils portaient les mêmes habits. C’était en 1988 et jusqu’à maintenant nous vivons les conséquences de cela.
Aujourd’hui en Irak il se passe la même chose : je vois d’autres familles touchées maintenant et c’est pour ça que je ne peux pas rester les mains croisées. Je me souviens quand j’ai retrouvé ma famille : c’était toute ma joie et quand je vois des familles arriver de partout à Erbil, à Dohuk, à Slemaniah dans une situation inhumaine, manquant des choses les plus simples de la vie, que ce soit pour manger et boire et tout le reste… Beaucoup pensent à quitter mais beaucoup aussi pensent à revenir chez eux même s’ils ne peuvent pas le faire. Il faut pour cela l’intervention d’une force internationale, la coalition internationale car il s’agit d’un projet, d’un agenda infernal que je qualifie également d’international car le terrorisme est bien international en Irak. Les terroristes viennent du monde entier : ils viennent d’Europe, d’Australie, d’Amérique, du Canada. C’est comme s’ il y avait un projet que je qualifie de film d’Hollywood bien organisé, avec un scénario en place mais il faut un temps pour que ça finisse et on pourrait y mettre fin. Les attaques américaines aident pas mal mais elles ne sont pas aussi ciblées qu’on le voudrait. Par exemple, on a tous les jours des contacts avec la plaine de Ninive, à Qaraqosh, à Qaramlèze, dans toutes ces agglomérations bien denses de chrétiens. Ils nous disent que le matin ils voient 3, 4, 5 voitures pleines de gens armés qui viennent et vont voler dans les maisons laissées ouvertes car les gens n’imaginent pas que l’on puisse venir voler comme ça en plein jour et le soir ces gens-là s’en vont. Donc on pourrait en finir avec ces voleurs, mettre fin à leurs pillages.
Question : Pourrait on dire que la présence des chrétiens dans une société est garante de la liberté de religion ?
Réponse : On a fait l’expérience de la laïcité depuis des années, mais ce n’est n’est pas seulement d’une religion qu’il s’agit, c’est d’une culture bien enfoncée dans notre histoire, les valeurs chrétiennes font du bien à la société. Nos amis musulmans le disent : « Pourquoi êtes-vous visés alors que vous faites du bien au pays. Pourquoi est-ce que nous vous chassons ? » Les chrétiens ne tuent pas, ils pardonnent, ils prient et ils portent témoignage, nous ne le voyons pas encore très bien mais ceux d’en face le voient et cela peut être le début d’un changement de vie. La laïcité est la première ciblée (victime ndlr) par l’incompréhension et l’ignorance de ceux qui disent qu’au nom de la laïcité on écarte toutes les valeurs. Sans les valeurs je ne vois pas la différence entre une personne humaine et une vache !
Question : Merci beaucoup d’avoir donné votre témoignage et…. à bientôt à Paris ?
Pascale : Oui! je suis heureuse de vous avoir rencontré toutes, c’était un rêve pour moi, c’est le temps des femmes et nous devons être des leaders et agir avec les hommes dans la complémentarité (rires). C’est une joie pour moi d’être avec mes sœurs dans la foi, dans le Christ. C’est très important pour moi ! Les femmes aujourd’hui sont la nécessité de notre temps. Alors je mets fortement l’accent là-dessus : les femmes sont demandées pour notre temps d’aujourd’hui que ce soit au point de vue mission, évangélisation, réorganisation d’une société plus humaine où la place de la famille doit être renforcée car depuis trois décennies je dirais, on a perdu ce sens. Je dis trois décennies car je sens que la situation est très différente de ce que j’ai vécu quand je suis venue en France tout début 1980.