Transhumanisme, eugénisme et droits de l’homme.
Comment le transhumanisme influence les droits de l’homme…
Gregor Puppinck déclare à La Croix :
« Les droits de l’homme, garantis par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), définissent l’homme. En 1950, lorsque la Convention est signée, on a défini ces droits dans le but de protéger les capacités inhérentes à l’être humain, sa nature, ce qui distingue l’homme des animaux et manifeste sa dignité.
À l’époque, l’homme n’était pas technologique, et l’on admettait encore l’existence d’une nature et d’une dignité humaines comme fondement des droits. Mais aujourd’hui, les biotechnologies peuvent non seulement augmenter nos capacités naturelles, mais aussi nous en doter de nouvelles. Un homme renouvelé émerge de l’évolution des techniques, et les droits de l’homme accompagnent cette évolution.
Comment les biotechnologies ont-elles fait évoluer les droits de l’homme ?
Les droits de l’homme expriment les conceptions successives que la société se fait de l’homme : il y a eu les droits humanistes, puis personnalistes ; à présent des droits post-humanistes s’imposent et ouvrent la voie aux droits transhumanistes.
Le post-humanisme est la domination des volontés individuelles sur la nature humaine. Il a pour effet de remplacer les droits de l’homme par les « droits des individus ». Même si la lettre des droits de l’homme n’a pas changé, leur interprétation individualiste a altéré, voire révolutionné, leur contenu. Ainsi, la Convention européenne des droits de l’homme proclame le droit à la vie, mais la volonté individuelle de mourir ou d’arrêter une grossesse prime à présent ce droit.
Le transhumanisme est le dépassement et la substitution de la nature humaine par les biotechnologies. L’accès à ces technologies devient un droit individuel car elles permettent de s’accomplir davantage. Ainsi, en affirmant l’existence d’un « droit de mettre au monde un enfant qui ne soit pas affecté par la maladie », la CEDH a intégré les techniques de dépistage génétique dans la définition de l’homme : l’eugénisme devient ainsi une composante de la nature humaine augmentée.
La Cour ne porte-t-elle pas de jugement moral sur ces techniques ?
G. P. : De façon nouvelle, la Cour estime qu’un argument moral n’a plus de valeur en soi. Toute « idée de l’homme » serait relative. Ainsi, en 2010, elle a jugé que « des considérations d’ordre moral (…) ne sauraient justifier à elles seules l’interdiction totale de telle ou telle méthode de procréation assistée, en l’occurrence le don d’ovules ».
Une limitation légale portée à la volonté individuelle n’est plus acceptée si elle est fondée sur une conception de l’homme ou du bien : la Cour exige désormais des arguments scientifiques. Par exemple, dans une récente affaire d’adoption par un couple de femmes, elle avait rejeté l’argument moral du gouvernement qui souhaitait l’interdire, demandant des preuves scientifiques qu’il n’est jamais bon pour un enfant d’être élevé par un couple de même sexe.
À quoi attribuez-vous cette évolution ?
G. P. : La Cour est affectée par le scepticisme et le relativisme ambiants, elle a perdu confiance en la capacité des législateurs à porter un jugement moral sur le juste et le bien. Seule lui reste la science comme « vérité » sur laquelle fonder son jugement.
Ce scepticisme moral détruit les droits de l’homme en ce qu’ils résultent de choix moraux non scientifiques et contribue ainsi à les réduire au seul principe de liberté, qui implique aussi celui d’égalité. Et cette liberté, c’est la volonté individuelle indéfinie.
Concrètement, la Cour conçoit sa jurisprudence comme intrinsèquement évolutive ; pour elle, la Convention est un « instrument vivant qui doit s’interpréter à la lumière des conditions actuelles », c’est-à-dire de l’évolution des techniques et des mentalités. La Cour se définit comme « la conscience de l’Europe », elle entend renouveler, unifier et faire progresser la société européenne.
C’est ce qui s’est passé avec la condamnation de la France pour avoir refusé de transcrire l’état civil d’enfants nés à l’étranger par gestation pour autrui…
G. P. : Il est frappant de noter que la Cour estime que la pratique de la GPA n’est pas, en soi, contraire aux droits de l’homme. Elle estime que l’État doit se justifier des restrictions qu’il pose à sa pratique, et donc que la GPA est une liberté. Il est navrant de voir que la Cour n’évoque même pas la mère porteuse et la mère génétique, leur liberté et leur dignité. La Cour refuse qu’il y ait des actes intrinsèquement mauvais : tout est question de circonstances, sauf la liberté. »