GPA: l’enfant, valeur marchande ou valeur d’humanité, sujet de droit ou « objet auquel chacun a droit »? Catherine Dolto s’inquiète dans « Le télégramme ».
« On est dans un moment très grave ».
Au cours d’un entretien, accordé le 25 août 2014 dans sa maison de vacances de Logonna-Daoulas (29), à Stéphane Jézéquel, Françoise Dolto, pédiatre et spécialiste de la relation mère-foetus, « tire la sonnette d’alarme. Elle recadre la réflexion autour de l’intérêt de l’enfant issu de mère porteuse et des conséquences sur lui dès le développement prénatal, et sur le lien fondamental de l’enfant à naître avec sa mère porteuse.. »
SJ On évoque souvent la situation des mères porteuses, l’aspect contestable de la transaction commerciale, mais rarement les conséquences pour l’enfant. Sur quoi vous basez-vous pour recentrer le débat ?
FD Sur 30 ans d’expérience clinique en tant qu’haptothérapeute, c’est-à-dire une personne qui accompagne les grossesses en organisant la rencontre entre les parents et l’enfant avant la naissance (…). Je suis très surprise que, dans ce débat, personne ne se pose la question du vécu de l’enfant. La GPA ne peut pas être sans trace, non seulement pour l’enfant mais aussi pour sa descendance (…). L’importance du début de la vie ne fait plus débat. Comment un enfant se construit-il dans le ventre d’une mère qui doit, au terme d’un contrat, s’en séparer ?
Pourtant cet enfant est lié à la mère porteuse…
Qu’on le veuille au non, cet enfant est en lien permanent avec elle. Il partage sa vie (…). Le foetus guette tout ce qui fait signe. Il est beaucoup plus poreux qu’on le croit au monde extérieur. (…) Cela laisse des traces très profondes. L’enfant in utero se prépare à entrer dans le monde de sa mère.
Et cette relation s’arrête brutalement…
Le bébé perçoit ce que sa mère perçoit. Cette mère porteuse est essentielle à son stade de développement. Elle est sa planète d’origine. C’est son être même qui s’est construit dans cette relation à cette femme. Et là, on l’oblige à faire un saut héroïque dans le vide, quand arrive la réalisation de ce contrat, la livraison de cet enfant.
Peut-on atténuer la brutalité de ce contrat ?
La naissance, l’arrivée dans la vie aérienne, est un énorme choc. Le nouveau-né doit en plus composer avec une nette rupture de continuité entre la vie prénatale, la naissance et ses premiers jours. Les grandes personnes croient qu’il suffit qu’elles aient un sentiment d’amour ou d’envie de l’avoir pour rendre heureux un enfant, alors que lui traverse une détresse, au moment de la naissance.
Quelle sera la réaction de cet enfant lorsqu’il apprendra qu’il a fait l’objet d’une transaction ?
C’est une question cruciale. Il faudra trouver, le plus tôt possible, les mots justes et vrais pour ne pas être destructeur (…). Allez expliquer cela à un adolescent qui sera en délicatesse avec ses parents. Si on n’a pas été respecté, on ne pourra pas respecter l’autre. La façon dont on va s’insérer dans une société difficile dépend en partie de la sécurité affective vécue durant l’enfance.
C’est un tournant de société ?
On est dans un moment très grave pour l’espèce humaine. Autoriser la GPA, c’est probablement faire un grand pas vers la barbarie. Qu’est-ce qui tient les mammifères humains ensemble, dans une capacité de vivre ensemble et de se respecter les uns les autres ? Cela tient à la manière de se respecter soi-même. Ce qui est à craindre, c’est qu’un enfant qui découvre qu’il est né de GPA perde le respect pour lui-même et pour les adultes à l’origine de cette transaction et que cela déclenche en lui une très grande violence (…). Quel sera le coût humain et social d’une telle pratique ?
Comment, au final, un enfant peut-il être traité comme un produit de consommation ?
L’enfant né par GPA devient l’aboutissement de la société de consommation, la boucle finale de cette société marchande. On a réifié les animaux et on va donner aux enfants un statut d’animal, de produit dont le destin est de rendre heureux une famille, comme un petit chien comme un petit chat. On regarde d’abord la jouissance des grandes personnes. Nous sommes dans une société où la frustration est insupportable et où tout désir doit être respecté.
À paraître en septembre : « L’aventure de la naissance avec la PMA », de Catherine Dolto et Myriam Szejer, chez Gallimard Jeunesse Giboulées.
DOCUMENT A LIRE:
Catherine Dolto. Nous ne sommes pas des mammifères comme les autres, Réflexions sur la gestation pour autrui