Féminisme et égalité chez Edith Stein, par Isabel Rodelet.
Dans un monde où règne une grande confusion quant à la féminité, l’être féminin, la place de la femme dans la société, sa vocation dans l’Eglise, Edith STEIN, femme juive, philosophe, convertie au catholicisme, apporte des éléments de réflexion intéressants pour aider les femmes à être plus libres et à découvrir quel est leur génie propre. En revenant sans cesse à la spécificité féminine, la grande philosophe dénonce indirectement l’idéologie égalitaire omniprésente et nous aide à redécouvrir la complémentarité entre l’homme et la femme.
1. Edith Stein et la théorie du genre.
« Seul celui qu’une ardente passion pour le combat a aveuglé peut nier ce fait patent que le corps et l’âme de la femme sont formés en vue d’une fin particulière. Et la parole limpide et irréfutable de l’Ecriture exprime ce que l’expérience quotidienne enseigne depuis l’origine du monde, à savoir que la femme est destinée à être la compagne de l’homme et la mère des êtres humains. Son corps est doté des propriétés requises à cette fin, mais sa spécificité psychique est également à l’avenant.
Qu’il existe cette spécificité psychique, c’est derechef un fait empirique évident ; mais cela découle aussi du principe anima forma corporis (l’âme est la forme du corps), posé par saint Thomas. Là où les corps sont de nature si radicalement différente, il doit forcément aussi exister – malgré tous les traits communs à la nature humaine – un type d’âme différent. » [1]
« Je suis convaincue de ce que l’espèce [2] humaine se déploie en tant qu’espèce binaire, l’ »homme » et la « femme », que la nature de l’être humain, auquel aucun trait caractéristique ne saurait manquer ici comme là, se manifeste sous une forme binaire, et que toute sa constitution essentielle révèle son empreinte spécifique. Ainsi, ce n’est pas seulement le corps qui est constitué différemment, ce ne sont pas seulement les diverses fonctions physiologiques individuelles qui diffèrent, mais c’est toute la vie somatique qui est autre : autres, les rapports entre l’âme et le corps, autres, à l’intérieur du psychisme, les rapports entre l’esprit et les sens comme les rapports des facultés spirituelles entre elles.
A l’espèce féminine correspondent l’unité et l’homogénéité de toute la personne somato-psychique, l’épanouissement harmonieux des facultés, tandis qu’à l’espèce masculine correspond le développement plus intense de quelques facultés en vue de leurs réalisations maximales. »
[1] Dans une lettre du 8 août 1931 : « si l’âme est la forme du corps, la différence physique doit nécessairement être l’indice d’une différence psychique. La matière est là pour la forme et non l’inverse. Cela suggère même que la différence psychique est première. »
[2] Édith Stein emploie le terme espèce pour désigner quelque chose de fixe, qui ne peut subir aucune variation qui serait liée à un changement dans les conditions de vie, c’est-à-dire dans la situation économique et culturelle ou dans l’activité personnelle.
2. L’art éducatif maternel.
De 1928 à 1932, Édith Stein donne une série de conférences sur le thème de la femme. D’une grande actualité, sa pensée scrute la nature féminine, sa spécificité, sa destination, sa mission propre, l’éducation à donner aux jeunes filles ; elle soulève également la question professionnelle, la place de la femme dans l’Église, etc.
« L’art éducatif maternel » est le titre d’une de ses conférences donnée à Munich en 1932. Ses lignes rendent un bel hommage à la maternité (…).
Dans la prime enfance « Aucune force naturelle ne peut se mesurer à l’influence de la mère quant à son importance pour le caractère et pour la destinée de l’être humain. » « (…) même si l’enfant peut, par ailleurs, subir de graves préjudices, un amour maternel totalement pur et authentique trouvera, dans la plupart des cas, les moyens d’en venir à bout. Le lien entre la mère et l’enfant a quelque chose de mystérieux.
L’entendement ne pourra jamais tout à fait comprendre comment il se fait que le nouvel organisme se forme dans l’organisme maternel. Il est pareillement incompréhensible, mais non moins un fait, qu’après la séparation de la mère et de l’enfant par le processus de la naissance, il demeure un lien invisible en vertu duquel la mère peut sentir ce dont l’enfant a besoin, ce qui le menace, ce qui se passe en lui, et en vertu duquel elle détient un esprit inventif merveilleux pour lui procurer ce qui lui est nécessaire et pour écarter ce qui lui est nuisible, ainsi qu’un dévouement pouvant aller jusqu’à braver la mort.
Voilà pourquoi elle est, au fond, irremplaçable, et un enfant auquel la mère est arrachée ou dont la mère n’est pas une « vraie mère » ne pourra jamais s’épanouir comme un enfant qui grandit sous la protection de l’authentique amour maternel. » « Ce lien naturel est le fondement premier et le plus important de cette merveilleuse autorité que nous attribuons à l’influence de la mère. (…)
Le devoir et la responsabilité de la mère résultent de son autorité. C’est d’elle plus que de n’importe quelle autre personne que dépend ce qu’il adviendra de son enfant, c’est-à-dire la façon dont son caractère se développera, et s’il sera heureux ou malheureux. Car ce n’est pas tant ce qui nous arrive du dehors que ce que nous sommes qui décide de notre bonheur et de notre malheur. »
« La première obligation qui en résulte pour la mère consiste en ce qu’elle doit être là pour son enfant (…). Si des raisons de santé ou une activité professionnelle l’empêchent de prendre soin toute seule de son enfant, elle devra en premier lieu, veiller à ce que le lien demeure (« être là pour l’enfant » ne signifie pas du tout « être toujours avec lui ») (…)
« L’amour authentiquement maternel, dans lequel l’enfant s’épanouit comme les plantes à la douce chaleur du soleil, sait que l’enfant n’est pas là pour la mère : ainsi, il n’est pas là comme un jouet pour meubler son temps vide, il n’est pas là pour assouvir sa soif de tendresse, il n’est pas là pour satisfaire sa vanité ou son ambition. L’enfant est une créature de Dieu (…).
Il incombe à la mère de se mettre au service de son épanouissement, de se mettre en silence à l’écoute de sa nature, de la laisser se développer tranquillement là où il n’est pas nécessaire d’intervenir, et d’intervenir là où il est nécessaire de conduire ou de réfréner. »
« L’éducation doit commencer dès le premier jour, c’est-à-dire l’éducation à la propreté et à la régularité, ainsi qu’un certain endiguement des instincts : si l’enfant reçoit les repas nécessaires à des heures très précises et absolument rien en dehors, il s’y habitue, en effet, son organisme s’adapte à cet ordre. Mais si l’on cède à ses désirs réels ou présumés, on en fait, en revanche, rapidement un petit tyran. L’accoutumance régulière est donc en même temps un exercice préparatoire à l’obéissance et à l’ordre (…). »
« Autant il est nécessaire, d’un côté, de laisser de la liberté à l’enfant, afin qu’il puisse se mettre en action et s’épanouir conformément à sa nature et à son stade de développement, autant il est nécessaire qu’il sente au-dessus de lui une volonté ferme qui régit sa vie pour son bien. La nature enfantine a besoin d’être fermement conduite et le désire vivement au fond, même si, dans le cas particulier, la volonté de l’éducateur contrarie souvent les désirs enfantins, et même si l’instinct de puissance, l’instinct consistant à s’imposer, est inhérent à chaque être humain et tente de secouer le joug que constitue la volonté d’autrui. (…)
Lorsque ses désirs, après un premier refus, sont satisfaits suite à quelque harcèlement, à quelques bouderies et à quelques hurlements, que des menaces ne sont pas mises à exécution et que des ordres sont repris, alors il est vite le maître au foyer pour le calvaire de sa famille et surtout à son propre détriment. Il n’est pas, en effet, encore capable de juger ce qui est bon pour lui et il obtient par la menace des choses qui, la plupart du temps, ne lui sont aucunement profitables.
En outre, il gaspille son énergie dans des réflexions et dans des décisions sur des affaires qui devraient être réglées tout naturellement (par exemple, quand et ce qu’il doit manger, ce qu’il doit mettre, etc.), au lieu de l’employer dans le domaine qui, dans ces années-là, constitue le champ le plus important pour son autonomie, c’est-à-dire dans le jeu. »
« Des parents très aimants peuvent commettre ces deux fautes, c’est-à-dire faire preuve d’autorité à mauvais escient et accorder la liberté à mauvais escient (…). Ils veulent jouer avec l’enfant et donner, ce faisant, eux-mêmes le ton, alors que l’enfant joue de la façon la plus belle et la plus féconde lorsque c’est lui qui organise entièrement le jeu. Ou bien ils le dérangent au beau milieu du jeu, qui est – non seulement à son sens, mais aussi en toute objectivité – l’une des affaires les plus importantes de sa vie, parce qu’il y a de la visite et que l’objet de fierté de la famille doit être présenté ou dans n’importe quel autre but dont l’enfant ne peut comprendre le caractère urgent. » « (…)
L’éducation dans son ensemble doit être étayée par un amour perceptible dans chaque mesure prise et n’engendrant aucune crainte. Et le moyen éducatif le plus efficace n’est pas la parole qui enseigne, mais l’exemple vivant, sans lequel toutes les paroles demeurent vaines. »
« Toute vie communautaire humaine est fondée sur la confiance et sur la délicatesse. Un enfant qui se sait protégé par l’amour de sa mère, qui ne connaît rien d’autre que sa relation entièrement fondée sur la sincérité avec cette dernière, entretiendra aussi avec autrui des rapports fondés sur la sincérité et sur la confiance tant que de mauvaises expériences ne l’auront pas fait reculer d’effroi, et, même s’il est déçu ici et là, il ne perdra point sa confiance dans les êtres humains tant que subsistera et ne sera point ébranlée la foi en cet être qui est pour lui le plus proche et le plus important. »
3. La spécificité féminine.
Quand Edith Stein s’interroge sur la « spécificité féminine », elle repart toujours de la nature. Si elle puise parfois dans différentes sources (philosophie, psychologie, science), elle aime surtout s’appuyer sur le livre de la Genèse pour comprendre quelle est la destination propre de la femme. A partir de ce fondement biblique, elle rappelle que Dieu a créé l’Homme à son image et ressemblance et qu’il l’a créé homme et femme.
C’est par conséquent l’être humain homme et femme qui est à l’image et à la ressemblance de Dieu. Par ailleurs, chacun reçoit une mission propre. Celle de la femme est d’être compagne et mère. C’est la nature même de la femme qui demande qu’elle s’accomplisse comme compagne et comme mère. Un germe a été déposé en elle, qui est appelé à se développer : tout son être (corps et âme) est marqué par cela.
« Seul celui qu’une ardente passion du combat a aveuglé peut nier ce fait patent que le corps et l’âme de la femme sont formés en vue d’une fin particulière. (…)Son corps est doté des propriétés requises à cette fin (être compagne et mère), mais sa spécificité psychique est également à l’avenant. » [1]
« (…) si l’âme est la forme du corps, la différence physique doit nécessairement être l’indice d’une différence psychique. La matière est là pour la forme et non l’inverse. Cela suggère même que la différence psychique est première. » [2]
Cette destination naturelle rend donc évident qu’il existe une « spécificité féminine ». Edith Stein en souligne quelques caractéristiques. La femme a une disposition à se porter sur la sphère personnelle (là où l’homme est davantage axé sur ce qui est objectif et à investir toute son énergie dans un domaine d’objets) : elle aime associer toute sa personne à ce qu’elle fait ; elle s’intéresse à la personne vivante, concrète (qu’il s’agisse d’elle-même ou des autres) ; l’ « objet » ne l’intéresse que dans la mesure où il sert ce qui est vivant et personnel, mais non comme une fin en soi (elle peut en revanche se mettre au service d’un objet par amour pour une personne) ; elle s’intéresse au tout concret et non à une petite partie au détriment des autres parties. « Partager la vie d’un autre être humain, c’est-à-dire prendre part à tout ce qui le concerne, aux grandes comme aux petites choses, à ses joies comme à ses peines, mais aussi à ses travaux et à ses problèmes – c’est un don chez elle et cela fait son bonheur. »
La femme se caractérise donc par une inclination naturelle à se mettre au service et à obéir, à être un appui, un soutien et à se donner totalement. Elle aspire à donner de l’amour et à en recevoir. « (…) une soif ardente de donner de l’amour et de recevoir de l’amour et, par là même, une aspiration à dépasser le cadre étroit de son existence réelle présente pour s’élever à un degré d’action et d’être supérieurs ». [3]
A ces dispositions d’esprit pratique, correspond une disposition d’esprit plus « théorique » : son mode cognitif naturel est une disposition à tendre vers le concret qu’elle appréhende par l’intuition et la sensibilité (l’abstraction lui est relativement étrangère). Les qualités qui sont les siennes ne sont pas réduites à son cercle familial le plus proche : partout où elle rencontre des êtres humains, elle peut laisser sa valeur spécifique porter ses fruits et exercer son action bienfaisante en apportant conseil, soutien, secours. Une femme qui accueille sa nature et lui permet de s’épanouir selon le dessein de Dieu, devient dès lors un « être complet » qui « s’apparente à un pilier inébranlable sur lequel de nombreuses personnes peuvent s’appuyer ».
« La grande masse des êtres humains est en proie à des conflits intérieurs, manque totalement de convictions fermes et de principes solides, va à la dérive et n’a aucun garde-fou ; or, la frustration engendrée par ce genre d’existence a pour conséquence qu’elle est sans cesse à l’affût de plaisirs nouveaux et de plus en plus raffinés, afin de s’étourdir ; quant à ceux qui sont en quête d’un sérieux fond de vie, ils en arrivent bien souvent à être submergés par un travail professionnel unilatéral qui les protège, certes du tourbillon de la vie actuelle, mais qui ne leur permet pas non plus d’endiguer ce tourbillon.
Pour porter remède à ce mal du siècle, il faut des êtres complets tels que nous les avons décrits, c’est-à-dire des êtres humains qui soient solidement ancrés dans le fondement que constitue l’éternité, et dont la façon de voir et d’agir ne subit point l’influence changeante des opinions à la mode, des folies et des travers de la mode tout autour d’eux. De tels êtres s’apparentent à des piliers inébranlables sur lesquels de nombreuses personnes peuvent s’appuyer ; grâce à eux, elles peuvent à leur tour avoir de nouveau pour appui des bases solides. Si donc les femmes parviennent elles-mêmes un jour à devenir des êtres complets et si elles aident les autres à le devenir, elles créeront des cellules germinales saines et vivaces grâce auxquelles le corps du peuple tout entier sera pourvu de forces vitales saines. » [4]
[1] E. Stein, La femme, Cours et Conférences, Cerf – Editions du Carmel – Ad Solem, p. 68
[2] Ibid.
[3] Ibid., p. 178-179
[4] Ibid., p. 50-51
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